Quel est le rôle du maître d’œuvre à la suite d’une réception avec réserves ?

Un rôle précisé par le contrat de maîtrise d’œuvre

Avant toute chose, il convient de se référer au contrat de maîtrise d’œuvre, qui peut encadrer de façon plus ou moins détaillée le rôle du maître d’œuvre dans cette phase. Ce contrat peut prévoir une mission étendue de suivi jusqu’à la levée complète des réserves, ou se limiter à des interventions ponctuelles.

En présence d’un OPC (Ordonnancement, Pilotage, Coordination), une répartition des rôles est à respecter. Le maître d’œuvre reste généralement chargé des visites de levées de réserves et de l’établissement des procès-verbaux.

En marchés publics : une procédure encadrée

En marchés publics, le rôle du maître d’œuvre dans la levée des réserves suit une procédure stricte, souvent définie par les documents types (comme ceux du Plan de Coordination de l’État ou du CCAG Travaux).

Trois étapes clés structurent son intervention :

• Établissement de la levée définitive : lorsque toutes les réserves sont levées, le maître d’œuvre rédige la proposition finale de levée de réserves (EXE9), adressée au maître d’ouvrage.
• Suivi des travaux de reprise : s’assurer que les entreprises interviennent pour corriger les désordres dans un délai raisonnable.
• Organisation et conduite des visites de levée de réserves : ces visites sont réalisées en présence de l’entreprise et du maître d’ouvrage. Elles donnent lieu à un formulaire EXE8, mettant à jour la liste des réserves.

En marchés privés : des pratiques à adapter

En marchés privés, les usages peuvent s’inspirer de ceux du public. Il est fréquent de remplacer les formulaires EXE8/EXE9 par un constat de levée de réserves, puis une proposition de réception définitive au maître d’ouvrage.

La norme NF P 03-001, si elle est contractuellement visée, précise que l’entreprise peut solliciter la levée de réserves par courrier recommandé. En l’absence de réponse du maître d’ouvrage dans les 30 jours, puis après une mise en demeure de 15 jours, les réserves sont réputées levées (article 17.2.5.5).

En cas d’intervention en site occupé : attention à la sécurité

Une fois le chantier réceptionné, le site est souvent occupé par le maître d’ouvrage ou ses usagers. Les interventions de levée de réserves se font donc en site occupé, ce qui exige des mesures particulières de sécurité, notamment lorsque les réserves concernent des éléments structurels, électriques, ou pouvant nuire à la sécurité des personnes.

Le maître d’œuvre doit alors :

• alerter le maître d’ouvrage sur la nécessité de sécuriser le site,
• recommander, si besoin, le recours à une mission complémentaire de coordonnateur SPS (CSPS),
• vérifier la compatibilité des interventions avec l’usage des locaux.

Que faire en cas d’inaction de l’entreprise ?

Lorsque l’entreprise tarde à intervenir ou refuse de lever les réserves malgré les relances, le maître d’œuvre a un devoir de conseil renforcé :

En marchés privés :

• Le maître d’ouvrage peut, si le contrat le permet, faire exécuter les reprises par une autre entreprise, aux risques et périls de l’entreprise défaillante.
• À défaut de clause spécifique, il peut résilier le marché et confier les travaux à un tiers.

En marchés publics :

• La procédure est encadrée par le CCAG Travaux 2021 (article 41.6) : après mise en demeure infructueuse, le maître d’ouvrage peut faire réaliser les levées de réserves aux frais et risques du titulaire. Le maître d’œuvre peut être missionné pour organiser cette substitution.

Dans ces cas, il peut être nécessaire de :

• consulter d’autres entreprises,
• analyser les devis,
• assister le maître d’ouvrage dans le choix de l’intervenant,
• planifier et suivre les travaux.

Important : ces tâches ne relèvent pas toujours du contrat initial de maîtrise d’œuvre. Il convient donc de demander un avenant pour couvrir ces prestations spécifiques.

Les bonnes pratiques pour le maître d’œuvre

Le maître d’œuvre doit faire preuve de méthode et de vigilance, tant sur le plan pratique que légal, pour sécuriser cette étape post-réception. Parmi les bonnes pratiques essentielles :

• formaliser toutes les étapes par écrit (comptes rendus, courriers),
• tenir un tableau de bord des réserves à jour,
• assurer une communication transparente avec le maître d’ouvrage,
• rappeler les obligations légales et contractuelles aux entreprises,
• anticiper les interventions pour éviter les tensions ou litiges.

En cas d’inaction de l’entreprise, il est essentiel que le maître d’œuvre :

• adresse une mise en demeure par recommandé à l’entreprise défaillante,
• elle doit rappeler clairement les réserves en suspens, fixer un délai raisonnable d’intervention et mentionner les conséquences d’un défaut d’exécution.

Ce formalisme est particulièrement important lorsqu’on se trouve encore dans le délai de parfait achèvement (1 an à compter de la réception, selon l’article 1792-6 du Code civil). En effet, cette mise en demeure constitue une preuve essentielle en cas de :

• recours ultérieur contre l’entreprise pour inexécution contractuelle,
• déclaration de sinistre auprès de l’assureur Dommages-Ouvrage, lorsque les réserves concernent des désordres de nature décennale.

L’assureur Dommages-Ouvrage (ou l’assureur Tous Risques Chantier s’il existe) exigera généralement :

• la preuve de l’inaction de l’entreprise,
• la copie de la mise en demeure restée sans effet,
• la démonstration que le désordre compromet la solidité ou rend l’ouvrage impropre à sa destination (dans le cadre des garanties légales).

Ainsi, le maître d’œuvre joue un rôle central dans la préservation des droits du maître d’ouvrage. Il ne s’agit pas seulement d’un suivi technique, mais aussi d’un accompagnement dans la gestion contractuelle et assurantielle du projet.